Justice en Balance dans les services à la personne : les mandataires perdent une bataille historique. Analyse et éclairages.
Analyse de l'arrêt CAA Versailles du 15.12.23 | Pourquoi c'est important | L'avis et les éclairages de Frank Nataf (Président de la Fedesap)
Avis de tempête sur les services mandataires. Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Versailles en décembre dernier met les points sur les I en termes de TVA.
Les structures mandataires n’ont pas le droit d’appliquer le taux réduit de TVA accordé aux structures prestataires. Elles doivent appliquer le taux normal de 20%.
En effet, comme vous l’explique Frank Nataf, Président de la Fedesap (Fédération Française des services à la personne et de proximité) dans l’interview qu’il m’a accordée (et que vous retrouvez en intégralité dans mon exposé) :
L’activité mandataire est une prestation de conseil RH, juridique et administrative auprès du particulier employeur de gré à gré. Ce n’est pas une prestation directe de service à la personne mais bien une activité visant à accompagner la bonne gestion d’un salarié par un employeur direct.
Tandis que dans le mode prestataire…
(…) l’opérateur emploie un salarié et satisfait à toutes les obligations qui vont avec : rémunération des temps de trajet, médecine du travail, temps contractuel (un salarié avec un contrat à temps plein sera payé tous les mois quel que soit son temps de présence à domicile), responsabilité juridique en cas de prud’hommes.
Et c’est pourquoi :
L'engagement d'une structure prestataire est beaucoup plus lourd que celui d'une structure mandataire. Pour rappel, les structures prestataires sont soumises à un taux de TVA de 5,5%, 10% ou 20% en fonction des activités commercialisées. Cependant, ce taux de TVA s'applique à 100% de la facturation hors taxes, y compris le salaire, les charges patronales et les congés payés, qui représentent 85% des coûts d'une structure prestataire.
Je vous expose l’affaire en trois temps
D’abord, je saisis l’occasion pour vous apporter quelques précisions génériques sur ce qu’est un arrêt de cour administrative d’appel, notamment en matière fiscale.
Puis, je vous raconte l'arrêt, mais dans un format digeste et accessible à tous.
Enfin, je donne la parole à Frank Nataf qui va recontextualiser l’arrêt et en mesurer l’impact.
J’espère que ce format vous plaira. La dernière étude d’arrêt que j’avais faite a bien fonctionné, ce qui m’a incité à vous en faire une nouvelle.
Souvenez-vous, c’était en juillet 2023 :
Qu’est-ce qu’un arrêt de cour administrative d’appel et quelle est sa portée ?
Généralités sur les cours d’appel
Un arrêt de cour d'appel, qu'il soit d'ordre général ou spécifiquement issu d'une cour administrative d'appel, représente une décision prise par un tribunal d'appel chargé de réexaminer les affaires déjà jugées en première instance.
Cette réévaluation ne se concentre pas sur les faits de l'affaire eux-mêmes, mais plutôt sur l'application de la loi, les éventuelles erreurs de procédure ou d'appréciation des faits. Le but est de s'assurer que la justice a été rendue équitablement, en respectant les droits de chaque partie et en appliquant correctement la loi.
Spécificités de la cour administrative d’appel
Dans le contexte spécifique du droit administratif, une cour administrative d'appel intervient pour revoir les décisions prises par les tribunaux administratifs. Ces affaires peuvent toucher à une grande variété de domaines relevant de l'action de l'État ou des collectivités territoriales, incluant le droit fiscal, l'urbanisme, les contrats publics, ou encore l'emploi public. Les enjeux de ces arrêts sont considérables, car ils peuvent influencer non seulement les obligations et les droits des parties concernées, mais également les principes de gouvernance et l'application des politiques publiques.
Spécificité et enjeux d’un arrêt en droit fiscal
En droit fiscal, qu'il relève du domaine administratif ou non, l'enjeu d'un arrêt de cour d'appel est d'autant plus significatif. Il peut déterminer l'exactitude des montants d'impôts dus, les pénalités pour non-conformité, et établir des précédents quant à l'interprétation des lois fiscales.
Pour le contribuable, il s'agit souvent d'une question de justice et d'équité, visant à s'assurer qu'il n'est pas injustement taxé. Pour l'administration fiscale, cela concerne l'application et le respect des réglementations fiscales en place.
Utilité
Les arrêts des cours d'appel et des cours administratives d'appel jouent un rôle fondamental dans le système judiciaire, en garantissant le respect de la loi et des droits individuels. Ils assurent une justice équitable en réexaminant les décisions de première instance, en se concentrant sur l'application correcte du droit et le respect des procédures, et en impactant la manière dont les lois et les règlements sont appliqués à l'avenir.
Impact et portée
En droit, la jurisprudence, c'est-à-dire l'ensemble des décisions de justice, joue un rôle quasi législatif en comblant les lacunes des textes légaux et en précisant leur portée. Un arrêt peut ainsi influencer la manière dont les tribunaux inférieurs et les administrations appliqueront les lois fiscales et administratives, orientant les politiques publiques et les comportements des contribuables et des entités gouvernementales.
Les arrêts de la cour d'appel, particulièrement en droit fiscal et administratif, jouent un rôle crucial en créant des précédents qui orientent l'application future des lois.
Ces décisions servent à clarifier et à combler les vides législatifs, guidant ainsi les jugements des tribunaux inférieurs et les actions des administrations.
Elles n'altèrent pas directement les textes de loi, mais établissent des standards d'interprétation et de mise en œuvre juridique. Cela impacte des domaines variés, comme les critères pour bénéficier de déductions fiscales ou les normes pour l'octroi de permis de construire, influençant ainsi à la fois la politique publique et les pratiques individuelles et gouvernementales.
Les arrêts des cours administratives d'appel ont une portée qui dépasse largement le cadre du litige initial, contribuant à façonner le droit et à assurer une certaine prévisibilité et stabilité dans son application. Cette fonction jurisprudentielle est essentielle pour le développement du droit et pour garantir une justice équitable et conforme aux principes légaux en vigueur.
Le couperet
Dans le théâtre de la justice fiscale française, un drame captivant se joue, opposant la modeste SARL Nickel à l'immense pouvoir de l'État, représenté par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
L'enjeu ?
Une somme colossale de 364 279 euros en rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période allant du 1er janvier 2016 au 28 février 2019.
David contre Goliath ?
Cette saga commence lorsque la SARL Nickel, spécialisée dans les services de ménage et repassage à domicile, conteste avec véhémence ces rappels devant le tribunal administratif de Versailles, arguant que ses prestations méritent un taux réduit de TVA.
Le premier acte de cette histoire se conclut par une victoire inattendue pour Nickel, le tribunal administratif de Versailles tranchant en sa faveur le 10 mai 2022.
Mais l'État, refusant de s'avouer vaincu, lance une contre-attaque en faisant appel de cette décision, espérant renverser le jugement initial et rétablir les impositions sur la pauvre SARL, désormais transformée en SAS.
Le ministre avance ses pions. Argumentant que le tribunal a mal interprété la loi en accordant à Nickel ce fameux taux réduit de TVA. Une manœuvre qui, selon lui, va à l'encontre des directives européennes.
Mais la SAS Nickel, loin de se laisser intimider, se dresse fièrement en défense, armée de l'éloquence de son avocat, Me Tournès. Elle contre-attaque, plaidant non seulement la recevabilité de sa requête initiale mais aussi la légitimité de ses services à bénéficier du taux réduit, s'appuyant sur sa déclaration auprès des autorités compétentes.
La bataille s'intensifie lorsque Nickel soulève l'exception d'illégalité d'un décret de 2013 et invoque la protection de positions formelles prises par l'administration fiscale en faveur de sa maison-mère, le groupe Shiva, plongeant ainsi l'affaire dans une complexité juridique fascinante.
Chaque camp présente ses arguments avec force et conviction, laissant le spectateur en haleine : le tribunal administratif de Versailles sera-t-il confirmé dans sa décision, ou la cour d'appel donnera-t-elle raison à l'État, réclamant son dû à la SAS Nickel ?
Cette histoire, riche en rebondissements et en stratégies juridiques, soulève des questions essentielles sur l'interprétation des lois fiscales, le rôle des directives européennes et la légitimité des entreprises à bénéficier de taux réduits de TVA.
Quel sera le dénouement de ce face-à-face titanesque ? Seul l'arrêt final de la cour d'appel détient la réponse, laissant chacun en attente du prochain acte de ce drame judiciaire.
Thémis vs Shiva
Dans l'arène judiciaire, le feuilleton de la SARL Nickel, devenue SAS et membre éminent du réseau "Shiva", spécialisé dans l'aide à domicile, prend un tournant décisif. Sous les feux des projecteurs, cette affaire dévoile une bataille épique autour d'un enjeu de taille : le taux de TVA applicable à des services de ménage et de repassage à domicile.
L'issue de cette joute juridique pourrait marquer un tournant pour le secteur des services à la personne.
La vérification comptable de la période de 2016 à 2019 a mis en lumière une pratique contestée par les autorités : l'application d'un taux réduit de TVA que l'État, représenté par le ministre des finances, refuse d'accepter, arguant une mauvaise interprétation des règles. La contre-attaque de la SARL Nickel devant le tribunal administratif de Versailles lui avait initialement accordé une victoire, mais l'histoire était loin d'être terminée.
Le ministre riposte, invoquant les règles du code de justice administrative pour justifier sa demande d'appel, mettant en avant une possible erreur d'interprétation des textes légaux et européens par le tribunal.
Le cœur du débat tourne autour de la nature des services fournis par Nickel : sont-ils ou non éligibles à ce fameux taux réduit de TVA ?
La cour d'appel, scrutant les textes avec acuité, navigue à travers un dédale de directives européennes, de dispositions du code du travail et des règles fiscales, pour déterminer la légitimité du taux réduit appliqué par Nickel. Les distinctions subtiles entre les types de services à la personne et les modalités de leur exécution deviennent le théâtre d'un affrontement juridique où chaque mot a son poids.
Le noeud gordien
Au terme d'une analyse minutieuse, la cour met en lumière une distinction cruciale : les services de Nickel, bien que précieux, ne s'inscrivent pas dans le cadre des prestations ouvrant droit au taux réduit de TVA, selon les interprétations strictes des textes en vigueur.
La société, bien qu'ayant tenté de prouver la valeur ajoutée de ses interventions à domicile, ne parvient pas à convaincre la cour de la pertinence de son argumentation face aux critères fiscaux établis.
Renversement de situation
Ainsi, l'histoire se penche vers un dénouement inattendu : la cour d'appel renverse la décision initiale, redonnant à l'État le droit de réclamer les sommes contestées. La SAS Nickel, malgré une défense acharnée et l'espoir d'une issue favorable, doit se résoudre à la puissance de l'interprétation juridique et fiscale.
Ce chapitre, loin d'être un simple verdict, s'inscrit dans la longue saga des interprétations fiscales et des débats sur la portée des services à la personne.
Il soulève des questions essentielles sur les limites de l'application des taux réduits de TVA et sur la reconnaissance des services essentiels au bien-être quotidien des citoyens. Un épisode qui, sans aucun doute, continuera de résonner dans les couloirs du droit fiscal et administratif, laissant présager d'autres rebondissements dans cette incessante quête de justice fiscale.
Si vous tenez à lire la version officielle de l’affaire, c’est ici :
A présent que les faits et les débats sont bien posés, intéressons-nous à l’avis d’expert de Frank Nataf, président d’une fédération professionnelle d’employeurs dans les services à la personne et dirigeant-fondateur du Réseau Auxilife.
L’avis de Frank Nataf sur l’arrêt CAA Versailles du 13.12.23
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Justification de l’arrêt
Alexandre Faure : La Fédésap soutient la décision de maintenir un taux de TVA de 20 % pour les activités mandataires. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous considérez cette différenciation de taux entre activités mandataires et prestataires comme étant juste et nécessaire ?
Frank Nataf : Tout d'abord, je tiens à souligner que ces deux modes sont complémentaires et non pas en opposition. La Fédésap a toujours défendu ces deux modes, qui favorisent la liberté de choix de l'utilisateur.
Il faut bien considérer la notion d’activité mandataire, qui est le mode historique d’intervention du secteur. Les premières associations dites de charité publique exerçaient sur un mode mandataire bénévole, en mettant en relation des particuliers employeurs et des salariés, et les conseillaient pour que tout se passe bien.
Le mode mandataire, c’est…
L’activité mandataire est une prestation de conseil RH, juridique et administrative auprès du particulier employeur de gré à gré. Ce n’est pas une prestation directe de service à la personne mais bien une activité visant à accompagner la bonne gestion d’un salarié par un employeur direct. C’est à ce titre qu’il est juste que le taux de TVA soit à 20% comme toutes les autres activités indirectes de SAP (exemple activité 23 : coordination de SAP).
Le mode prestataire, c’est…
Dans un mode prestataire, l’opérateur emploie un salarié et satisfait à toutes les obligations qui vont avec : rémunération des temps de trajet, médecine du travail, temps contractuel (un salarié avec un contrat à temps plein sera payé tous les mois quel que soit son temps de présence à domicile), responsabilité juridique en cas de prud’hommes.
Règles de TVA applicables aux deux activités
L'engagement d'une structure prestataire est beaucoup plus lourd que celui d'une structure mandataire. Pour rappel, les structures prestataires sont soumises à un taux de TVA de 5,5%, 10% ou 20% en fonction des activités commercialisées (comme prévu dans l'annexe III de l'article 86 du CGI). Cependant, ce taux de TVA s'applique à 100% de la facturation hors taxes, y compris le salaire, les charges patronales et les congés payés, qui représentent 85% des coûts d'une structure prestataire.
Les 20% de TVA du mode mandataire ne s'appliquent qu'aux frais de gestion (hors salaire), soit 25% de la facturation.
25% de 20%= 5% : on est bien sur un système égalitaire et juste entre les deux modes.
Quel impact pour les structures ?
Alexandre Faure : Comment cette décision impacte-t-elle les structures mandataires en termes d'opérations et de compétitivité sur le marché ?
Frank Nataf : Il n’y a eu aucune évolution, le taux de TVA à 20% sur les frais de mandat ayant toujours été très clair. En revanche, force est de constater que certains acteurs parfaitement identifiés n’appliquaient pas cette règle fiscale clarifiée par une instruction fiscale depuis au moins 10 ans. Ces structures se réfugiaient derrière le public accompagné pour défendre un taux de TVA similaire au prestataire et donc baisser leur impact en termes de TVA.
Donc il n’y aura aucun impact pour les structures qui étaient respectueuses du droit. En revanche, les autres vont devoir se mettre en conformité, ce qui semble parfaitement normal.
Nos adhérents sont conformes depuis très longtemps et ils réclamaient depuis longtemps la fin de cette distorsion de concurrence injuste. Ils sont récompensés par cette décision.
Quel impact pour les clients ?
Alexandre Faure : Quelles seront les conséquences pour les clients qui utilisent les structures mandataires ?
Frank Nataf : Il n’y aura pas d’impact pour les clients des structures qui appliquaient le bon taux de TVA. Pour les autres, c’est peut-être l’occasion d’aller vers des structures mandataires vertueuses à l’occasion d’augmentation tarifaire qui serait appliquée par les mauvais élèves pour compenser cette « correction ».
La Fédésap se tient à la disposition de tous les consommateurs qui voudraient de plus amples explications.
Pour une éthique du mandataire
Alexandre Faure : Vous avez mentionné l'importance d'un mandataire éthique et transparent. Comment la Fédesap compte-t-elle promouvoir ces principes au sein du secteur des Services à la Personne, à la lumière de cette décision ?
Frank Nataf : En mode mandataire, il est essentiel que le particulier en gré à gré et le salarié soient parfaitement au courant des enjeux juridiques qu’implique cette relation très particulière.
Il est parfois très difficile de savoir si une structure est un mandataire lorsque celle-ci parle de recruter des auxiliaires de vie ou qu'elle mentionne "notre équipe". Une structure mandataire comprend bel et bien une équipe salariée. Cette équipe est composée de salariés administratifs qui conseillent les particuliers, mais qui ne doivent pas gérer les plannings des intervenants à la place des particuliers employeurs, par exemple.
La commission mandataire de la Fédésap travaille actuellement à la réalisation d'une charte du mandataire transparent et éthique. Cette commission est composée de 20 structures de tous les métiers. Ce sont des entreprises et d'associations de toutes tailles. L'objectif de cette charte est de rassurer les consommateurs en promouvant la transparence et l'éthique dans le secteur.
Perspectives pour les activités mandataires
Alexandre Faure : Quelles sont les perspectives d'avenir pour le secteur des Services à la Personne, particulièrement pour les activités mandataires, suite à cette décision ?
Frank Nataf : Encore une fois, cette décision ne fait que rappeler la législation fiscale que chacun aurait dû appliquer depuis plus de dix ans !
Ce taux différencié de TVA est juste et s’explique. Les entreprises et les associations fiscalisées qui l’appliquaient n’auront aucun impact en revanche les autres vont devoir adapter leur modèle économique.
Le problème qui se pose, c’est surtout pour certains réseaux de franchise qui poussaient leurs franchisés à passer la ligne rouge. Ils sont clairement en défaut de conseil sur ce point.
Je suis convaincu que cette décision va en ramener beaucoup à la raison et dans le droit chemin de la juste concurrence.
Nous avons de nombreux combats à mener pour simplifier nos métiers et favoriser le développement de notre activité de services d'autonomie à domicile et de soins aux personnes. Par exemple, le sujet de l'offre globale d'activité a un impact très fort sur les pure players en portage de repas.
De plus, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes pour systématiser et simplifier la mutualisation de l'APA et de la PCH à l'intérieur et à l'extérieur d'un habitat inclusif.