Protection sociale : défendre le modèle paritaire par la pédagogie
Les acteurs de la retraite doivent coordonner leur présence et leur discours pour faire comprendre la valeur d'un système à préserver.
Protection sociale : plaidoyer pour un paritarisme renforcé et mieux compris
Dans ma dernière newsletter, j'évoquais la présence des caisses de retraite au Salon des Seniors avec un regard critique sur l'organisation du stand de l'Agirc-Arrco.
J'y pointais un contraste saisissant entre "ces stands parfaitement organisés [de l'Assurance Retraite et de la Caisse des Dépôts] et celui de l'Agirc-Arrco", soulignant que la fédération présentait "un stand ni aménagé, ni équipé, ni organisé pour recevoir un public important." Cette observation a pu être perçue comme une critique sévère, voire un désaveu de l'institution.
Ce n'était nullement mon intention.
L'objectif n'était pas de condamner la présence de l'Agirc-Arrco au salon, mais plutôt d'interroger la façon dont cette présence avait été organisée. En réalité, j'ai appris par la suite que l'Agirc-Arrco avait choisi de mettre l'accent sur son action sociale plutôt que sur les questions de carrière et de pension, ciblant ainsi davantage les retraités que les actifs.
Une orientation parfaitement légitime, mais qui n'était malheureusement pas clairement affichée sur son stand, contrairement à d'autres exposants comme La Poste qui détaillaient exhaustivement l'étendue de leur offre.
De même, l'Assurance Retraite, tout en excellant dans l'information sur les carrières, ne mettait pas en avant son action sociale, pourtant précieuse pour de nombreux retraités.
Cette situation illustre un paradoxe révélateur : comme si l'une des institutions avait choisi de ne parler qu'aux actifs et l'autre qu'aux retraités, alors qu'elles auraient tout intérêt à présenter une vision complète et coordonnée de leurs services respectifs.
Car derrière cette apparente anecdote se cache un enjeu fondamental : la capacité de nos institutions paritaires à communiquer efficacement auprès du grand public et, par extension, à défendre leur légitimité dans un contexte où leur rôle est de plus en plus contesté par les pouvoirs publics.
L'héritage précieux du modèle social français
Je tiens à l'affirmer d'emblée : je suis viscéralement attaché au modèle français de protection sociale. Il constitue l'un des héritages les plus précieux de l'après révolution industrielle. L'enrichissement des pays occidentaux a permis une redistribution des richesses qui, à son tour, a engendré la création de régimes de protection sociale améliorant considérablement la qualité de vie de l'ensemble des citoyens.
Ce modèle, fruit d'une longue histoire sociale, a démontré sa robustesse et son efficacité. Il a su accompagner les transformations de notre société, s'adapter aux crises économiques et absorber les chocs sociaux. Il a offert aux Français une sécurité que bien des pays nous envient encore aujourd'hui.
Certes, l'allongement de la durée de vie et les évolutions socio-économiques interrogent la pérennité d'un modèle de retraite par répartition comme le nôtre. Cependant, je m'oppose fermement à l'idée de jeter aux orties l'intégralité de ce système au profit d'un modèle par capitalisation, comme certains le préconisent, notamment en s'inspirant du modèle américain.
Une telle transition pourrait certes avoir une incidence positive sur l'investissement, mais elle aurait des conséquences potentiellement désastreuses sur d'autres aspects, remettant en question le principe même de solidarité que nous avons collectivement validé.
Action sociale
De plus, notre système actuel offre une dimension que les approches purement capitalistes ignorent souvent : une action sociale substantielle et diversifiée.
L'Agirc-Arrco, par exemple, a développé des initiatives remarquables comme son espace "Idées Bien Chez Moi" à Paris, où sont proposées des centaines de solutions d'adaptation du logement. Ces services de prévention et d'assistance constituent un argument supplémentaire en faveur de notre modèle de protection sociale, les sociétés de capitalisation ne proposant généralement pas un tel accompagnement.
La force méconnue du paritarisme
Ce qui fait la spécificité et la force du modèle français, c'est aussi le paritarisme. Notre système n'est pas géré par l'État, contrairement à une idée reçue tenace. Il n'est pas non plus financé par l'impôt. Les régimes de protection sociale sont administrés par les organisations syndicales qui représentent les actifs et les employeurs.
C'est un système sain : celui qui finance les prestations est aussi celui qui en bénéficie. On peut donc légitimement supposer que les décisions prises pour la gestion des régimes seront favorables tant aux employeurs, qui collectent les cotisations, qu'aux salariés, futurs retraités qui bénéficieront de la redistribution.
Ce qui peut paraître surprenant, c'est que l'État ait progressivement cherché à s'emparer de ce sujet, alors qu'il aurait été plus judicieux de le laisser entre les mains des organisations syndicales.
100% pour
Je ne me contente pas de ne rien avoir contre les régimes de base et complémentaires - je valorise activement leur travail, que je considère comme indispensable dans notre pays.
Cette réflexion pourrait d'ailleurs s'étendre à d'autres domaines de la protection sociale. Prenons l'exemple de la dépendance : ce "cinquième risque" actuellement géré par la CNSA soulève des questions sur la gouvernance optimale des nouveaux défis sociaux.
Sans entrer dans un débat technique sur ce sujet qui mériterait un article à part entière, on peut néanmoins s'interroger sur la cohérence d'ensemble de notre modèle social et sur l'expertise développée depuis des décennies par les acteurs paritaires.
Plus d’explications sur ce régime et ses limites dans mon article consacré à la feuille de route 2025 de la CNSA :
Le défi de la complexité et de la communication
Ce qui me semble criticable en revanche, c'est parfois les difficultés que rencontrent ces institutions pour communiquer efficacement, notamment auprès du grand public.
Lors d'événements comme le Salon des Seniors, elles devraient chercher à se coordonner pour apporter une réponse globale à leurs bénéficiaires, qu'il s'agisse du régime général ou des régimes complémentaires.
Ayant travaillé 15 ans dans un groupe de protection sociale (de 2001 à 2017 chez Audiens), j'ai une compréhension approfondie du fonctionnement de la retraite en France. Cependant, je suis conscient que cette expertise est rare et que la plupart de nos concitoyens ne comprennent pas - ou très mal - ce système.
Les affres de la complexité
Cette complexité est problématique à plusieurs niveaux.
D'abord, elle entretient une forme d'anxiété chez les futurs retraités, qui peinent à se projeter clairement dans leur avenir financier.
Ensuite, elle alimente un sentiment de défiance vis-à-vis des institutions, souvent perçues comme opaques et bureaucratiques.
Enfin, et c'est peut-être le plus préoccupant, elle fait le jeu des pouvoirs publics qui peuvent ainsi plus facilement s'approprier le sujet des réformes sans avoir à rendre de comptes détaillés aux citoyens.
Je suis convaincu qu'une pédagogie plus efficace autour de la retraite permettrait d'accompagner plus sereinement nos concitoyens dans l'évolution nécessaire du système, plutôt que de leur imposer des changements par le biais de décisions réglementaires non négociables, avec les conséquences politiques et sociales que l'on connaît.
L'urgence d'une communication coordonnée
Revenons au cas concret du Salon des Seniors. L'Assurance Retraite et la Caisse des Dépôts (qui n’est pas un organisme paritaire) étaient parfaitement organisées pour répondre aux questions sur les carrières et les pensions, mais ne mettaient pas en avant leur action sociale.
À l'inverse, l'Agirc-Arrco avait choisi de privilégier l'action sociale, mais sans que cette orientation soit clairement affichée, et sans être suffisamment préparée à répondre aux questions sur les carrières que de nombreux visiteurs leur posaient malgré tout.
Cette situation met en lumière un cloisonnement qui nuit à la compréhension globale du système. La retraite ne se résume pas au versement d'une pension : c'est aussi un ensemble de services, d'aides et d'accompagnements que les régimes proposent pour améliorer la qualité de vie des seniors.
Fragmenter cette information entretient une vision parcellaire et appauvrie de ce que la protection sociale paritaire apporte réellement aux citoyens.
Plus fondamentalement, je m'interroge sur l'absence de concertation entre ces différentes institutions.
Pourquoi ne pas imaginer une approche plus intégrée, plus cohérente, qui simplifierait la vie des visiteurs tout en valorisant l'écosystème paritaire dans son ensemble ?
Voici quelques propositions concrètes qui pourraient améliorer significativement l'expérience des usagers tout en renforçant l'image et la légitimité des institutions paritaires :
1. Une proximité géographique stratégique
Les stands des différents régimes (de base et complémentaires) devraient être physiquement rapprochés dans les salons, créant un véritable "pôle retraite" facilement identifiable. Cette disposition permettrait aux visiteurs de comprendre intuitivement qu'ils font face à un écosystème cohérent plutôt qu'à des entités concurrentes ou indépendantes.
2. Une signalétique claire et explicite
Chaque stand devrait afficher sans ambiguïté sa mission et son périmètre d'action. "Information sur vos droits au régime général", "Découvrez notre action sociale", "Adaptation de votre logement"... Des messages simples qui permettraient aux visiteurs de savoir immédiatement à qui s'adresser selon leurs besoins. L'Agirc-Arrco gagnerait notamment à mieux valoriser son espace "Idées Bien Chez Moi" de Paris et l'ensemble de ses initiatives en matière d'adaptation du logement.
3. Des équipes formées à l'écosystème global
Les gestionnaires présents sur chaque stand devraient être formés non seulement à leur propre offre, mais aussi à une compréhension minimale des autres régimes et de leurs services. Ils seraient ainsi capables d'orienter efficacement les visiteurs vers le bon interlocuteur lorsqu'une question dépasse leur champ de compétence, plutôt que de simplement dire "ce n'est pas nous qui gérons ça".
4. Des parcours visiteurs coordonnés
Pourquoi ne pas concevoir des parcours types selon les profils et les besoins ? Un futur retraité à deux ans de son départ pourrait ainsi être guidé de manière fluide entre les différents stands pour obtenir une vision complète de sa situation, tant en termes de pension que de services complémentaires. De même, un retraité cherchant à adapter son logement pourrait être orienté vers les services spécifiques de l'Agirc-Arrco tout en étant informé des aides de l'Assurance Retraite.
5. Des entretiens conjoints pour les cas complexes
Pour les situations les plus complexes (carrières internationales, polypensionnés, etc.), ou pour les personnes ayant à la fois des questions sur leur pension et sur les services d'action sociale, des entretiens conjoints associant des conseillers des différents régimes pourraient être proposés. Cette approche éviterait au visiteur le sentiment d'être ballotté d'un interlocuteur à l'autre sans jamais obtenir une réponse globale.
6. Des conférences communes et pédagogiques
Au lieu de multiplier les prises de parole en ordre dispersé, les différents régimes pourraient organiser des conférences communes abordant de manière pédagogique non seulement le fonctionnement du système de retraite, mais aussi l'ensemble des services qu'ils proposent. "Ma retraite, bien plus qu'une pension", "De l'actif au retraité : un accompagnement global"... Des formats accessibles qui valoriseraient la richesse de l'offre paritaire.
7. Des supports de communication harmonisés
Les brochures, infographies et autres supports devraient être conçus dans une logique de complémentarité, couvrant à la fois les aspects pension et action sociale. Des codes couleurs communs, une charte graphique coordonnée, des renvois explicites d'un document à l'autre... Autant d'éléments qui faciliteraient la compréhension des liens entre les différents services proposés par l'ensemble des régimes.
8. Une présence digitale coordonnée
Au-delà des salons, les sites web et applications des différents régimes gagneraient à proposer des interfaces plus interconnectées. Des passerelles clairement identifiées, des simulateurs communs, voire à terme un portail unique permettant d'accéder à l'ensemble des informations relatives à sa retraite et aux services associés, quel que soit le régime concerné.
Ce ne sont là que quelques pistes, mais elles illustrent une conviction profonde :
Face à la complexité intrinsèque de notre système de retraite, seule une communication coordonnée et pédagogique peut permettre aux institutions paritaires de reconquérir la confiance des citoyens et de réaffirmer leur légitimité.
Un enjeu qui dépasse la simple communication
Cette question de la coordination entre régimes n'est pas qu'un enjeu de communication ou d'image. Elle touche à la légitimité même du paritarisme dans un contexte où l'État cherche à prendre la main sur la protection sociale.
En effet, la fragmentation actuelle et la difficulté pour les citoyens à comprendre l'articulation entre les différents régimes et leurs services constituent un argument de poids pour ceux qui plaident en faveur d'une étatisation croissante du système. "C'est trop compliqué, simplifions en unifiant sous l'égide de l'État" - voilà un discours séduisant pour beaucoup, mais qui ferait perdre les bénéfices essentiels du paritarisme que j'ai évoqués plus haut.
Cette simplification pourrait mettre en péril la richesse et la diversité des services proposés. Les régimes paritaires, par leur proximité avec les réalités du terrain et leur gouvernance impliquant directement les partenaires sociaux, ont développé des réponses souvent plus adaptées et plus innovantes que ne pourrait le faire une administration centralisée. L'action sociale menée par l'Agirc-Arrco et par l'Assurance Retraite en est un exemple éloquent.
La mission des acteurs de la protection sociale et des groupes paritaires va donc bien au-delà de leur simple présence dans les salons. Leur véritable enjeu est de réconcilier le public avec leur rôle, leur contribution, et l'impact positif qu'ils ont sur le fonctionnement des régimes de protection sociale.
Si les organisations syndicales et leurs partenaires au sein des groupes de protection sociale et de l’Assurance Vieillesse se concertaient mieux sur leur communication au public, l'ensemble du corps social en bénéficierait.
Cela permettrait non seulement une meilleure compréhension du système, mais aussi une plus grande adhésion aux évolutions nécessaires pour préserver notre modèle face aux défis démographiques et économiques.
Conclusion : pour une reconquête pédagogique
Je n'ai donc pas voulu critiquer l'Agirc-Arrco en tant qu'institution, ni remettre en question la pertinence de mettre en avant son action sociale. J'ai simplement voulu pointer du doigt une occasion manquée de valoriser le rôle essentiel des régimes complémentaires dans notre système de protection sociale, dans toutes ses dimensions - pension et services.
De même, ma remarque sur l'Assurance Retraite n'était pas une critique de son efficacité à informer sur les carrières, mais plutôt une invitation à présenter également son action sociale, tout aussi précieuse pour de nombreux retraités.
Cette critique se veut constructive et s'inscrit dans une démarche plus large : celle de défendre un modèle paritaire1 auquel je crois profondément, mais qui ne pourra survivre que s'il sait se rendre compréhensible et désirable aux yeux des citoyens.
Le devoir pédagogique
Dans un monde où la complexité est souvent perçue comme synonyme d'inefficacité, les institutions paritaires ont un devoir de pédagogie. Elles doivent démontrer que cette complexité n'est pas le fruit du hasard ou d'une bureaucratie excessive, mais qu'elle reflète la richesse et la diversité des situations professionnelles que notre système prend en compte et des services qu'il propose.
Les préoccupations des citoyens vieillissants sont légitimes et méritent des réponses claires :
Combien vais-je toucher à la retraite ?
Si je deviens dépendant, quelles seront les conséquences ?
Comment les différentes caisses peuvent-elles m'aider ?
Quelle est la différence entre l'Agirc-Arrco et les caisses qui la composent ?
Quels services puis-je attendre au-delà de ma pension ?
Répondre à ces questions de façon concertée et pédagogique, c'est défendre l'atout majeur que représente notre système de protection sociale.
C'est aussi rappeler que la gestion paritaire n'est pas un archaïsme, mais bien un modèle de gouvernance pertinent pour les défis sociaux contemporains, capable d'offrir bien plus qu'une simple pension.
Car au fond, ce qui est en jeu va bien au-delà d'une question d'organisation de stand dans un salon.
C'est notre capacité collective à préserver et à faire évoluer un modèle social qui, malgré ses imperfections, reste l'un des plus protecteurs au monde.
Un modèle qui ne pourra survivre que s'il est compris, défendu et valorisé par ceux-là mêmes qu'il est censé protéger : les citoyens.
Bien que la CNAV ne soit pas un organisme paritaire au sens strict, elle intègre des principes de paritarisme dans sa gouvernance, ce qui lui permet de refléter les intérêts des différentes parties prenantes dans le domaine de la retraite. Organisme public à caractère administratif, elle est gérée par un conseil d'administration paritaire.
Ce conseil d'administration est composé de 30 membres, dont 13 représentants des organisations de salariés, 13 représentants des organisations d'employeurs, et 4 personnalités qualifiées désignées par l'État. Cette structure paritaire assure une représentation équilibrée des intérêts des salariés et des employeurs dans la gestion de l'assurance retraite.