Service Public de l'Autonomie : L’usine à gaz qui complique au nom de la simplification
Derrière 29 objectifs de service et 11 catégories d'acteurs, la promesse d'un accès facilité aux droits tourne au cauchemar administratif
Bienvenue sur Longévité, la newsletter où je décortique la société de la longévité et les tentatives de simplifier la vie aux citoyens confrontés à la fragilité.
Aujourd’hui, j’analyse un texte passé relativement inaperçu dans la moiteur de juillet, un arrêté du 28 mai 2025 publié au JO le 4 juillet dernier. Ce texte réglementaire, signé par Catherine Vautrin, organise le Service Public Départemental de l'Autonomie, nouveau “guichet unique” instauré par la loi “Bien Vieillir” de 2024 (art 1er bis A) dont cet arrêté est la notice d’utilisation.
La généralisation des SPDA à tout le territoire français fait suite à un POC réalisé en 2024 et 2025 dans 18 départements.
Vous souhaitez faire le tour du sujet ?
Lisez le dossier publié l’année dernière dans
, la newsletter que j’écris en partenariat avec .C’est quoi les SPDA ?
Les SPDA devraient être LE guichet unique de l’autonomie destiné aux personnes fragiles et à leurs aidants. Le SPDA n’est pas un nouveau guichet sorti ex-nihilo, mais la compilation des services existant auquel le législateur confie une nouvelle mission de service public.
Derrière la promesse d'un "guichet unique", se cache une nouvelle manifestation de l'obésité bureaucratique française qui transforme chaque solution en problème administratif.
Malgré ses défauts, cet arrêté sera le texte de référence pour toutes les parties prenantes du SPDA et vous devez donc en comprendre les tenants et les aboutissants pour collaborer avec eux ou - mieux - les aider.
Je me devais donc d’en faire une analyse, tout en cherchant à répondre à LA question :
Comment utiliser le SPDA (et ses failles) pour votre business dans la Silver économie ?
Présenté comme la réponse aux difficultés d'accès aux droits des personnes âgées et handicapées, ce texte de 14 pages “organise” une mécanique bureaucratique d'une complexité sidérante.
Loin de simplifier les démarches des citoyens, le SPDA s'annonce comme une nouvelle couche administrative qui risque d'aggraver les maux qu'elle prétend guérir.
Le mirage du guichet unique
Quatre missions, mille complications
L'arrêté définit quatre "grandes missions" pour le SPDA : accueil et information, instruction des droits, soutien aux parcours coordonnés, et prévention. Une lecture attentive du cahier des charges révèle rapidement l'ampleur du défi. Prenons la première mission, supposée la plus simple :
"Cette mission vise à garantir l'apport d'une information suffisante et adaptée aux personnes et/ou le cas échéant leur mise en relation avec l'interlocuteur adéquat en fonction de leurs demandes et de leurs besoins".
Noble intention, mais qui se traduit concrètement par la création de 7 objectifs de service distincts, répartis en 4 sous-thématiques (information, accueil, mise en relation, appui aux démarches). Chaque objectif nécessite lui-même des "modalités graduées d'accompagnement" et des "conditions d'un accueil inconditionnel favorisant l'écoute active".
Comment un aidant perdu dans ses démarches pourra-t-il se retrouver dans ce labyrinthe conceptuel que même les professionnels peineront à décrypter ?
Une coordination à géométrie variable
Plus révélateur encore est le flou artistique entourant la coordination entre acteurs. L'arrêté liste 11 catégories d'intervenants : départements, ARS, communes, organismes de sécurité sociale, MDPH, rectorats, France Travail, acteurs de coordination, services France Services, établissements sanitaires et médico-sociaux...
Le texte précise avec un euphémisme remarquable que "l'ensemble des acteurs du SPDA partagent en co-responsabilité la mise en œuvre d'une réponse populationnelle". Cette "co-responsabilité" ressemble étrangement à une déresponsabilisation généralisée où chacun pourra renvoyer vers l'autre en cas de dysfonctionnement.
Une gouvernance tentaculaire
La Conférence Territoriale de l'Autonomie : nouveau mammouth administratif
L'arrêté instaure une Conférence Territoriale de l'Autonomie (CTA) chargée du pilotage. Cette instance devra élaborer un "programme annuel d'actions" présenté au Conseil Départemental de la Citoyenneté et de l'Autonomie (CDCA). Soit deux nouvelles couches de gouvernance pour un service qui se voulait simplifié.
La CTA devra également "veiller au respect du cahier des charges national", "organiser la réponse aux engagements de service public" et "garantir l'équilibre entre le respect des prérogatives de chacun des membres du SPDA".
Autant de missions de coordination qui nécessiteront leurs propres équipes, leurs propres budgets, leurs propres procédures.
Le paradoxe de la participation citoyenne
L'arrêté insiste lourdement sur la "participation des personnes" :
"Le SPDA vise à mieux répondre aux attentes et aux besoins des usagers en facilitant leurs démarches et leurs parcours. Il doit donc être élaboré à partir des besoins exprimés et des attentes."
Pourtant, ces mêmes usagers sont noyés dans un dispositif de 8 missions, 29 objectifs de service, 5 engagements transversaux et une batterie d'indicateurs de suivi. Comment peut-on prétendre placer l'usager au centre d'un système qu'il faut être technocrate chevronné pour comprendre ?
Les contradictions du cahier des charges
L'accessibilité inaccessible
L'arrêté fait de l'accessibilité l'un de ses postulats fondamentaux. Mais regardons la réalité : le cahier des charges lui-même fait 14 pages d'un jargon administratif impénétrable. Les 21"axes d'analyse pour alimenter une démarche qualité" renvoient vers une quarantaine de sous axes et près de 70 “Pistes pour alimenter une démarche qualité”. Vous y retrouvez le même volapuk indigeste comme"Structuration d'une approche territorialisée des parcours" ou "Consolidation d'une culture commune entre partenaires".
Comment espérer une mise en œuvre homogène d’un territoire à l’autre quand le champ des possibles est aussi vaste, aussi flou et que le gros des préconisations se traduit en indicateurs qualité à la finalité oiseuse ?
Le piège de la mesure permanente
L'obsession française pour les indicateurs atteint ici des sommets. L'arrêté impose pas moins de 15 catégories d'indicateurs différents : taux de satisfaction, nombre de labellisations "Services Publics +", délais de traitement, taux d'hospitalisations évitables, pourcentage de répondants ayant subi un refus de soins...
Cette inflation d'indicateurs révèle une contradiction fondamentale : plus on multiplie les mesures, moins on comprend la réalité du terrain. Comme je l'analysais déjà dans mon édito sur la CNSA, cette "bureaucratisation rampante" transforme chaque initiative en "machine à créer de nouvelles instances, de nouveaux cadres normatifs, de nouvelles procédures."
L'écho de l'échec CNSA
Des mécanismes identiques
Les similitudes avec la dérive de la CNSA sont frappantes. Comme je l'écrivais, la CNSA "partie d'un objectif clair - la gestion des prestations d'autonomie - s'est progressivement transformée en un mastodonte administratif aux ambitions tentaculaires." Le SPDA suit exactement le même schéma : parti d'une volonté louable de simplification, il devient une nouvelle usine à gaz administrative.
L'absence d'évaluation des coûts
Tout comme pour la CNSA, l'arrêté SPDA évite soigneusement la question des coûts. Combien coûtera cette nouvelle architecture ? Combien de postes administratifs supplémentaires ? Quel budget de fonctionnement pour ces multiples instances de coordination ? Le silence sur ces questions cruciales rappelle les "angles morts préoccupants" que je pointais dans l'analyse de la CNSA.
La fuite en avant normative
Le SPDA illustre parfaitement ce que j'identifiais comme "une forme d'étatisation rampante du secteur". Plutôt que de faire confiance aux acteurs de terrain et de libérer leurs initiatives, l'État préfère créer de nouveaux dispositifs de contrôle et de normalisation.
Le coût caché de la bureaucratisation
Des ressources détournées
Chaque euro dépensé dans ces nouvelles structures administratives est un euro qui ne va pas directement aux personnes en besoin d'accompagnement. Chaque heure passée en réunion de "coordination territoriale" est une heure qui n'est pas consacrée à l'aide concrète.
Cette logique rappelle ce que je dénonçais concernant la CNSA : "la multiplication des instances de coordination, des comités de pilotage et autres structures bureaucratiques est présentée comme une évidence, sans que leur valeur ajoutée ne soit démontrée."
L'innovation étouffée
En imposant ce carcan normatif, le SPDA risque d'étouffer les initiatives locales qui fonctionnent déjà. Comme pour la CNSA, "cette approche top-down nie la capacité d'innovation des acteurs de terrain et risque d'étouffer les initiatives privées."
Libérer plutôt qu'encadrer
Plutôt que de créer cette nouvelle couche administrative, il aurait été plus efficace de simplifier l'existant et de faire confiance aux acteurs locaux.
Les solutions existent souvent déjà sur le terrain : associations d'accompagnement, services municipaux, acteurs privés... Il suffirait de les libérer de certaines contraintes plutôt que d'en créer de nouvelles.
Conclusion : L'État obèse face aux défis de l'autonomie
L'arrêté créant le SPDA illustre les travers de l'administration française : face à un problème réel (la complexité d'accès aux droits), elle répond par une complexification supplémentaire. Cette logique mortifère transforme chaque solution en nouveau problème, chaque simplification en complication.
Comme je l'écrivais en analysant la CNSA, "il est temps de revenir à une approche plus équilibrée, où l'État se concentre sur ses missions régaliennes tout en laissant le champ libre aux initiatives privées."
Le SPDA, dans sa forme actuelle, risque fort de rejoindre le cimetière des réformes administratives françaises : une belle intention transformée en machine bureaucratique inefficace et coûteuse.
Les personnes ayant besoin d’assistance pour gérer leurs fragilités ou celles de leurs proches méritaient mieux qu'un énième guichet "unique" aux 29 objectifs de service.
Il est encore temps de simplifier vraiment, plutôt que de compliquer savamment, n’est-ce pas ?
Exactement ce que je dénonce et qui est l’illustration parfaite des maux administratifs de notre société française et qui fait exploser les budgets et les dépenses publiques…
Et si au moins cela augmentait la qualité du service…
Obésité bureaucratique qui transforme la vie des professionnels en enfer et coûte un pognon de dingue aux Français pour un résultat catastrophique…