Géroscience : la discipline qui transforme notre rapport au vieillissement (et que j'explore depuis 2019)
L'IHU Health Age, ICOPE et la géroscience offrent des outils concrets pour prendre en main notre longévité plutôt que de la subir.
Bienvenue sur Longévité, la newsletter qui décrypte la Silver économie et la société de la longévité, apportant des réponses aux questions que vous vous posez sur l’adaptation de la société au vieillissement.
Mon article de dimanche dernier sur la dépendance des parents a fait grand bruit. En explorant la difficulté d'aborder le placement en EHPAD et en plaidant pour une responsabilisation partagée - aux parents d'anticiper, aux enfants d'être honnêtes sur leurs capacités - j'ai touché dans le mille.
Les réactions, positives, confirment une évolution des mentalités que j'observe depuis plusieurs mois. Vous validez cette idée que la culpabilité familiale est contre-productive et qu'il faut lever le tabou sur la dépendance pour éviter le faux dilemme entre "EHPAD redouté" et "aidance sacrificielle".
Et justement, cette semaine, j'ai co-écrit avec France Silver Eco une newsletter consacrée aux travaux de l'IHU Health Age. Cet institut universitaire basé à Toulouse est LE spécialiste français de la géroscience, une discipline qui transforme notre compréhension du vieillissement.
La géroscience, c'est l'un des sujets qui me fascinent et auquel j'ai commencé à m'intéresser dès 2019, une époque pas si lointaine où cette thèse était taxée de transhumanisme et donc raillée. Aujourd'hui, si elle fait l'objet de nombreuses attentions, cela reste encore très théorique. Cependant, les implications concrètes commencent à émerger.
Une révolution silencieuse dans nos représentations
Car la géroscience nous propose une rupture : considérer le vieillissement non plus comme une fatalité, mais comme un processus biologique modulable. Contrairement à la gériatrie qui traite les maladies une fois déclarées, cette approche s'attaque aux mécanismes fondamentaux du vieillissement pour prévenir l'apparition des pathologies chroniques.
Si nous considérons le vieillissement comme le fait de descendre un escalier, l'objectif est de repérer chaque fois que nous descendons une marche pour la remonter. - Pr Bruno Vellas, fondateur et président de l’IHU Health Age
Concrètement, qu'est-ce que cela signifie pour moi, pour vous, pour nos parents ? D'abord, que notre "âge biologique" peut être très différent de notre âge civil. Cette distinction, que la science établit clairement, bouleverse nos représentations traditionnelles.
L'âge biologique : la vraie mesure de notre vieillissement
L'âge biologique correspond à l'état réel de votre organisme, contrairement à l'âge chronologique qui n'est que le nombre d'années calculé depuis votre naissance. Cette différence n'est pas anecdotique. Plusieurs études démontrent que ces deux âges peuvent être très différents, parfois avec des écarts marqués.
Prenez l'exemple de la France : une personne de 76 ans peut avoir biologiquement un organisme de 65 ans grâce aux progrès médicaux, à une meilleure alimentation et à de meilleures conditions d'hygiène. Cette réalité transforme notre compréhension du vieillissement et interroge nos pratiques.
L'âge biologique n'est jamais parfaitement corrélé à l'âge chronologique. L'âge de survenue des maladies liées à l'âge dépend du contexte de vie - environnement, médecine, hygiène de vie.
Si mon âge biologique peut différer de mon âge civil, comment dois-je appréhender mes projets de vie ?
Plutôt que de me résigner à un déclin programmé selon mon âge chronologique, je peux agir sur mon âge biologique.
ICOPE : enfin un programme de prévention qui fait consensus
Le programme ICOPE, déployé auprès de 69 000 seniors français, illustre cette démocratisation. Il évalue six fonctions essentielles tous les six mois : locomotion, nutrition, santé mentale, cognition, audition et vision.
L'innovation ?
Des tests simples :
Se lever d'une chaise cinq fois,
Marcher quatre mètres,
Mémoriser trois mots.
Enfantin, n’est-ce pas ?
Oubliez (provisoirement) les examens médicaux complexes : des gestes banals révèlent l'état de nos grandes fonctions.
L'application ICOPE Monitor, gratuite et validée scientifiquement, permet de s'auto-évaluer régulièrement.
Son plus grand atout : être
ICOPE, c'est un programme de prévention qui a le mérite d'exister.
Car voilà bien le problème : la prévention, tout le monde en parle.
Dès qu’il est question de dépendance, on voit fleurir le mot prévention sur les bouches et dans les textes de tous les soignants, mutuelles et pouvoirs publics.
Car "la prévention" de la dépendance permettrait de diminuer le coût individuel et sociétal du vieillissement.
Mais concrètement, dire prévention, c'est dire quoi ?
Cela peut être beaucoup de choses !
Et les listes de "choses à faire" ne manquent pas.
Mangez équilibré, bougez, entretenez vos liens sociaux.
OK, mais jusqu'à ICOPE, aucun programme ne faisait consensus.
Là au moins, on a un programme. Il évoluera sans doute, mais il existe quelque chose sur lequel les soignants, les entreprises, les pouvoirs publics peuvent se réunir pour co-construire l'avenir. C'est peut-être la vraie révolution : disposer d'un référentiel commun, d'un langage partagé pour parler de prévention.
Voilà le type d'outil qui répond concrètement à ma réflexion sur la responsabilisation. Les parents peuvent anticiper avec des données objectives, les enfants peuvent accompagner avec des repères factuels plutôt que de naviguer à vue dans l'émotion. Et nous pouvons tous nous retrouver autour de ce cadre pour construire des solutions.
Mes interrogations personnelles
Mais cette révolution soulève des questions troublantes. Si je peux connaître mon âge biologique précis, si je peux prédire mes risques de pathologies, comment vais-je vivre avec ces informations ?
Cette connaissance sera-t-elle libératrice ou anxiogène ?
Oserai-je le test qui permet d’estimer l’âge de ma mort, ou bien choisirai-je la confortable ignorance ?
A quel moment basculerai-je dans le déni ?
Ces nouvelles possibilités transforment ma relation au temps qui passe. Plutôt que de subir passivement mon vieillissement, je pourrais devenir l'architecte de ma longévité. Mais cette responsabilité nouvelle est-elle souhaitable ? Voulons-nous vraiment transformer notre vieillissement en projet de performance personnelle ?
Les limites qui persistent
Car restons lucides.
La France accuse un retard d'investissement par rapport à d’autres pays qui misent massivement sur la géroscience : Etats-Unis, Chine et même Arabie Saoudite, comme je l’ai expliqué dans cet article sur la Fondation Hevolution et sa dotation - annuelle - de 1 milliard de dollars.
1 milliard par an dans la recherche d'un remède au vieillissement : le pari fou de l'Arabie saoudite 🤔
L’Arabie saoudite va investir 1 milliard de dollars par an dans la recherche sur la longévité afin de découvrir un remède au vieillissement.
Même si l'expertise toulousaine fait de l'Hexagone un leader européen sur la mise en œuvre clinique, la géroscience reste une discipline jeune qui promet de transformer la prévention dans les années à venir, mais qui profitera plus à nos enfants !
Selon Aubrey de Grey, figure emblématique de la recherche sur la longévité, il faudra au moins 20 ans avant de commercialiser la première thérapie efficace pour ralentir le vieillissement.
En attendant, méfiance face aux promesses marketing.
L'industrie de la supplémentation "anti-âge" prospère sur nos angoisses avec des compléments aux bases scientifiques fragiles.
L'identification et le développement de molécules géroprotectrices constituent une des avancées majeures actuelles, avec la sénothérapie qui cible les cellules sénescentes pour prévenir l'apparition de cancers, maladies cardiovasculaires ou neurodégénératives bien avant leurs manifestations cliniques. Mais ces approches restent expérimentales.
L'enjeu pour l'écosystème Silver
Cette évolution transforme la nature même du marché senior.
Il faudra encore vendre de la compensation - béquilles, téléassistance, aide à domicile. Mais à côté de ce marché traditionnel, nous pourrions voir émerger un marché préventif avec des produits et services qui cibleront une clientèle âgée de 40 à 60 ans, préoccupée par son vieillissement en santé et souhaitant investir dans la prévention.
Les entreprises qui sauront intégrer ces approches préventives prendront une longueur d'avance.
Car demain, nous ne viendrons plus chercher des solutions curatives d'urgence, mais des outils pour optimiser notre parcours de vie sur le long terme. Cette anticipation éclairée pourrait justement nous éviter le piège du faux dilemme entre "EHPAD redouté" et "aidance sacrificielle".
Conclusion : vers une responsabilité éclairée
La géroscience nous rappelle que vieillir en bonne santé n'est pas une loterie génétique, mais le résultat de choix conscients et répétés. Sauf qu'aujourd'hui, ces choix peuvent s'appuyer sur des données scientifiques solides plutôt que sur l'intuition ou la culpabilité.
Cette révolution silencieuse transforme notre rapport au temps et à la prévention. Elle nous donne les moyens scientifiques d'assumer la responsabilité de notre propre vieillissement. Reste à savoir si nous saurons nous emparer de ces outils sans tomber dans l'obsession de la performance ou l'anxiété de la prédiction.
Car au fond, la vraie question n'est pas de savoir si nous pouvons retarder notre vieillissement, mais comment nous voulons habiter cette longévité nouvelle qui s'offre à nous.
J’ai le sentiment que les femmes prennent de plus en plus conscience de cette prévention. Le fait de parler de plus en plus des symptômes et risques de la ménopause, je vois de plus en plus de femmes de 50 ans me demander des conseils pour limiter ses effets. On parle maintenant de capital santé. Un sujet que je continue d’explorer car il s’agit de travailler sur la santé mentale : image de soi notamment après 50 ans mais de l’image de la femme en général