Des fermes pour vieillir heureux : l'habitat inclusif rural réinvente l'accompagnement des seniors
En Seine-et-Marne, un ingénieur agronome développe un projet d'habitat partagé intégrant exploitation agricole et accompagnement des aînés.
Bienvenue sur Longévité, le média où j’explore toutes les options possibles pour adapter la société au vieillissement.
Je vais vous raconter les tenants et aboutissants d’un projet que j’accompagne, celui de Stanislas. Il m’a demandé un appui pour concevoir un projet d’habitat partagé senior. Nous brainstormons depuis plusieurs semaines et petit à petit, faisons émerger un concept pertinent dans lequel la personnalité, les convictions et les compétences de Nicolas pourraient apporter une offre qui manque aujourd’hui.
La ferme
En bref, Stanislas souhaite développer une ferme inclusive. Une exploitation agricole active, productive, qui serait aussi pensée comme un lieu de vie pour des personnes isolées, issues du territoire local, souhaitant y vivre sereinement, mais qui ont besoin d’un soutien qu’elles trouveront dans un collectif soutenant.
Cette idée me botte, pour 4 raisons :
Les habitats inclusifs n’ont de sens que s’ils sont pensés pour le territoire où ils se développent. C’est ce que souhaitent les habitants, les collectivités locales, les entrepreneurs.
Un nombre significatif d’habitats partagés (RSS, RA, coliving, inclusif) sont implantés en zone urbaine, périurbaine ou dans la première ceinture métropolitaine. Les projets ruraux sont rares, tout comme les projets pensés pour des habitants des zones rurales.
Les problèmes d’isolement, de désertification, d’accès aux services touchent fortement les habitants des zones rurales à qui l’on ne peut pas décemment demander de déménager pour une zone urbaine, sauf à interpréter l’intention du “vieillir chez soi”.
Adapter la société au vieillissement, c’est veiller à préserver le patrimoine et l’occupation du territoire français. Éviter la désertification, la mort des petites villes et des villages, contribuer à ce que les territoires soient préservés, restent attractifs.
Pour toutes ces raisons, j’ai été séduit par ma rencontre avec Stanislas et comme nous souhaitons donner de la visibilité à son projet afin de rencontrer un maximum de partenaires, je lui ai proposé de consacrer une newsletter à son projet.
Et de vous aider à répondre à LA question :
Comment révéler le potentiel d'innovation sociale d'un territoire en s'appuyant sur ses ressources existantes plutôt que d'importer des modèles extérieurs ?
La ferme de demain sera aussi un lieu de vie pour les aînés : quand les agriculteurs deviennent acteurs de l’adaptation de la société au vieillissement
Stanislas parcourt les 7 hectares de terres agricoles en cours d’acquisition à dix minutes de Provins.
Ingénieur agronome de formation, il nourrit une ambition qui dépasse le cadre de l'exploitation traditionnelle : transformer cette ancienne ferme en un lieu de vie partagé pour seniors, où l'agriculture redevient le cœur d'une communauté solidaire.
"L'idée, c'est de pousser la proximité avec la nature", explique-t-il en évoquant son projet d'habitat inclusif rural. "Permaculture sur les lieux, création d'un repair café, aquaponie... Les seniors pourraient prendre leurs animaux de compagnie, recevoir leurs petits-enfants, s'activer au jardin s'ils le souhaitent, faire tourner le poulailler. Vivre selon des principes de résilience et de simplicité."
Cette vision d'un vieillissement ancré dans le territoire répond à un enjeu : comment permettre aux aînés de rester "au pays" sans les isoler ? Entre l'EHPAD urbain et le maintien à domicile parfois précaire, une troisième voie émerge.
Quand les territoires ruraux vieillissent à vitesse grand V
Dans les territoires peu denses français, la part des 65 ans et plus atteint parfois plus d'un quart de la population totale. Le Massif Central, la Creuse, la Bretagne centrale voient leurs générations partir vers les villes pour étudier ou travailler. Derrière elles, des communautés vieillissantes.
Cette double contrainte - exode des jeunes et déclin naturel - pose des défis considérables.
D'ici 2050, le ratio actifs/retraités pourrait chuter à 1,8 dans certaines zones rurales. La charge sur les services publics déjà fragiles s'alourdit. Les déserts médicaux s'étendent. 40 % des communes rurales n'ont pas de transport public régulier. 150 000 commerces ruraux seront à reprendre d'ici 2030.
Il y a les MARPA
Face à cette réalité, les solutions d'hébergement restent limitées. Les MARPA (Maisons d'Accueil et de Résidence pour l'Autonomie) apportent une première réponse avec leurs 200 établissements répartis sur 70 départements.
Elles accueillent entre 4 700 et 5 000 résidents, principalement des femmes seules âgées en moyenne de 84 ans.
Quelques projets pionniers émergent aussi, comme la Résidence du Grand-Père Joseph dans l'Aisne (14 logements dans une ancienne ferme) ou La Marguerite des Champs dans le Nord.
Mais un trou subsiste dans la raquette : l'absence d'alternatives qui respectent le souhait des personnes de vivre "chez elles", dans un environnement rural familier, sans accepter l'isolement ou la précarité du maintien à domicile traditionnel.
Portrait d'un pionnier : l'agriculteur-bâtisseur de lien social
C'est dans ce contexte que Stanislas développe son approche singulière. Son profil d'ingénieur agronome doté d'un statut d'agriculteur lui ouvre des possibilités uniques. C’est par le prisme de cette singularité qu’il souhaite valoriser des biens agricoless.
Une vision globale anime Stanislas : "Je ne veux pas juste créer des logements seniors dans ma ferme. Je souhaite développer un écosystème, un projet d'ensemble dans lequel l'habitat n'est qu'une partie." Sa ferme accueillera des chevaux, des espaces de permaculture inspirés des méthodes de Sepp Holzer, des poissons, des ateliers participatifs. "L'objectif, c'est de proposer des loyers abordables tout en étant rentable, en créant une vraie communauté de vie."
L’organisation
Format
Du côté de l’organisation, Stanislas apprécie le modèle béguinage. Des T2 / T3 équipés, couplés à des espaces partagés, avec un régisseur / animateur qui fait vivre la collectivité. Évidemment, on pourrait aussi réduire la taille des logements et augmenter le volet collectif, mais j’ai du mal à croire au format collocation, même s’il a le vent en poupe dans les projets actuels. Je trouve que le format béguinage qui donne le choix aux habitants est plus adapté à des personnes désireuses de conserver leur autonomie et de choisir le temps du collectif, avec des aspirations différentes d’un jour à l’autre.
Animation
Les choses ne sont pas définitives sur le volet de l’animation, mais nous partirions a priori sur un couple de régisseurs habitant sur place et répondant aux différentes demandes des habitants.
Comme pour les autres projets, la question du financement de cette ressource est en balance. Intégré au loyer, financé par l’AVP, modèle mixte. J’aurais tendance à recommander la résilience, et donc un financement direct par les habitants, plutôt qu’une dépendance au bon vouloir du conseil départemental. Mais, pour l’heure, la question n’est pas prioritaire. Elle l’est d’autant moins que l’AVP pourrait très bien disparaître d’ici à l’ouverture de la maison partagée imaginée par Stanislas.
Cependant, compte tenu de l’offre, on va plutôt cibler des publics avec un fort degré d’autonomie, et une aspiration à la conserver.
Résilience
"L'idée, c'est qu'ils puissent vivre selon des principes de résilience", insiste Stanislas. Poulailler, aquaponie, accueil des animaux de compagnie, repair café... Autant d'activités qui redonnent du sens au quotidien tout en maintenant le lien avec la nature et les savoir-faire traditionnels.
Cette approche hybride répond à un besoin profond : celui de rester utile, de transmettre, de continuer à contribuer à la vie d'un territoire.
Plutôt que de "parquer" les seniors dans des établissements coupés de la nature, le modèle proposé en fait des acteurs de la préservation des savoir-faire ruraux.

Comment identifier le vrai client de l'habitat inclusif : ne visez pas les futurs résidents d'EHPAD
L'inspiration venue du Nord : quand les Pays-Bas montrent la voie
Aux Pays-Bas, la ferme Reigershoeve près d'Amsterdam fait figure de modèle. Ce "village Alzheimer à la ferme" accueille 27 résidents dans quatre maisons de groupe réparties autour d'un grand jardin, d'une serre, d'un potager et d'une étable.
Les résidents, principalement des personnes atteintes de démence, participent à la vie de l'exploitation : entretien du potager, soin des animaux, bricolage, cuisine. Chaque maison dispose de son équipe d'aidants professionnels, mais l'accent est mis sur l'autonomie et la participation plutôt que sur l'assistance passive.
Le succès de Reigershoeve repose sur trois piliers que la France pourrait s'approprier :
Un cadre réglementaire facilitateur : les autorités néerlandaises encouragent ce type d'initiatives dans leur stratégie nationale de santé publique, considérant qu'elles offrent une transition douce entre domicile et institution.
Une culture du collectif : l'habitat partagé fait partie de l'ADN néerlandais, avec une tradition séculaire de "béguinages" et de vie communautaire organisée.
Un financement équilibré : le modèle économique combine financement public (pour la prise en charge médicale) et contributions privées (pour l'hébergement et les services), permettant une viabilité financière sans sacrifier l'accessibilité.
L'exemple néerlandais démontre que ces projets peuvent dépasser le stade expérimental pour devenir de véritables références. Reigershoeve propose même des services complémentaires : accueil de jour pour les personnes vivant encore à domicile, logement temporaire de répit pour les aidants familiaux, groupes d'activités bénévoles pour maintenir le lien social.
D'une vision à la réalité : les défis du passage à l'acte
Stanislas dispose des fondations : une vision claire, un foncier sous compromis, une commune engagée, un architecte mobilisé et un projet agronomique maîtrisé. Reste à assembler les pièces manquantes pour transformer l'idée en réalité tangible.
Le défi financier
Premier obstacle : lever les fonds nécessaires à l'acquisition du foncier et au financement des travaux. L'approche agricole élargit le spectre des investisseurs potentiels au-delà du cercle restreint des spécialistes de l'habitat inclusif. Stanislas explore toutes les pistes : investisseurs privés sensibles à l'agriculture durable, fonds d'impact, partenaires institutionnels. Le travail de prospection bat son plein.
La quête du binôme
Mais le véritable enjeu réside ailleurs : trouver le partenaire qui viendra compléter ses compétences. Stanislas maîtrise l'agriculture, la recherche foncière, l'adaptation du bâti. Il lui manque l'expertise sur l'organisation de la vie collective, l'animation sociale, l'accompagnement des personnes fragiles.
"Mon domaine, c'est le volet agricole et la conception du bâti", reconnaît-il. "Mais j'ai besoin de quelqu'un qui sache créer du lien social, organiser la vie de groupe, comprendre les besoins spécifiques des seniors au quotidien."
Ce binôme pourrait être une association spécialisée, un acteur des services à la personne, ou un professionnel du secteur médico-social partageant sa vision. Sans cette complémentarité, le projet restera une belle ferme rénovée - mais pas un véritable lieu de vie partagé.
Conclusion : réinventer les lieux pour réinventer l'âge
L'initiative de Stanislas illustre les promesses et les défis de l'habitat inclusif rural. Son projet démontre qu'une approche hybride - agriculture et accompagnement du vieillissement - peut répondre aux aspirations des seniors tout en revitalisant les territoires.
Mais son parcours révèle aussi les obstacles qui freinent l'émergence de ces alternatives. Au-delà des questions financières et réglementaires, c'est la rencontre entre des univers professionnels distincts qui reste le défi principal. Comment faire se rencontrer l'agriculteur et le travailleur social ? L'entrepreneur rural et l'animateur médico-social ?
Ces projets nécessitent des profils hybrides ou des partenariats solides entre compétences complémentaires. Stanislas le pressent : son succès dépendra autant de sa capacité à cultiver la terre que de celle à tisser des liens humains durables.
Car au fond, ces fermes inclusives posent une question plus large : comment réconcilier nos modes de vie avec nos besoins d'accompagnement ? Dans une société où l'agriculture redevient pourvoyeuse de sens et où le vieillissement interroge nos solidarités, ces lieux hybrides esquissent peut-être l'avenir.
L'aventure de Stanislas ne fait que commencer. Elle dessine déjà les contours d'un nouveau métier : celui d'agriculteur-accompagnant, semeur de lien social autant que de graines.
Un métier d'avenir pour des territoires en quête de renaissance.
Le propos est intéressant comme très souvent.
J'entrevois dans le concept de Stanislas des avantages fondamentaux en matière de business:
- celui d'être duplicable sur un marché porteur (vieillissement population et terres agricoles à revivifier)
- celui d'une "belle image" pour des "investisseurs socialement responsables"
- celui d'un porteur de projet (Stanislas) ouvert au travail en équipe et à la complémentarité
Encore faut-il que la solution mise en œuvre par Stanislas soit vue comme le début d'une longue série de réalisations dépassant le cadre local.
En fait le projet de Stanislas doit être menée comme le lancement d'une "startup" ambitieuse pour ne pas dire "licornesque" :) :) :).
De la même manière que Stanislas est conscient de s'entourer d'un profil de "créateur de lien social", je pense qu'il devrait se rapprocher d'un profil de développeur de business en pleine recherche de sens à donner à sa vie de businessman.
Une question:
quelle est l'enveloppe de financement qui est prévue pour arriver à la réalisation de cette PREUVE de CONCEPT qui verrait donc le jour dans la région de Provins?
Accessoirement, quelle serait l'apport minimal exigé par investisseur?
Je trouve l’idée intéressante mais restera à réorganiser les campagnes qui sont en pleins déserts médicaux et des commerces de proximité qui s’éloignent