ICOPE invisible : quand la prévention doit se faire oublier
Entre vigilance post-Covid et innovation, comment transformer un outil de contrôle en philosophie de vie respectueuse des libertés
Bienvenue sur Longévité, la newsletter qui décortique, sans concession les actions et les idées concourant à l’adaptation de la société au vieillissement.
Samedi 10h25, je suis assis à mon bureau. À ma gauche, la fenêtre est ouverte sur mon jardin ensoleillé. J’ai voulu jardiner ce matin, mais la chaleur de juillet m’a chassé des plates-bandes et envoyé dans cette pièce petite, mais agréable, que vous apercevez en arrière-plan lors des visios et des sessions live du club Longévité Liberté.
Longévité Liberté
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La dernière session : Icope
À droite, près de la porte, j’ai accroché “Le Moulin”, un canevas que mes grands-parents avaient acheté au marché de Sevran, en 1972 ou 1973 (je le sais car il figure aussi sur des photos avec moi bébé et je suis né en janvier 1974).
Je vous ai déniché une capture du dernier club Longévité-Liberté où vous apercevez le moulin.
Sur l’image, je suis en compagne du pr Bertrand Fougère, Charles Bark, Philippe Bourhis. Il y avait aussi Etienne Rubi à ce rendez-vous du club Longévité-Liberté, mais il avait eu un petit problème de réseau et cherchait à se reconnecter au moment de la capture.
Je vous montre cette image pour illustrer mon propos, parce que je vais développer un aspect de l’échange dans l’essai d’aujourd’hui. Un essai qui trouve son origine dans 3 sources :
Le club Longévité Liberté consacré à Icope, dont je viens de parler
L’annonce d’un énième groupe de travail gouvernemental autour de l’autonomie (j’en parle ci-dessous)
Une vidéo puissante qui explique dans le détail ce que les gérants des Jardins d’Haîti ambitionnent en transformant leur EHPAD marseillais en “Maison à vivre” (j’y reviendrai, car c’est, selon moi, ce vers quoi Icope devrait tendre… et il faut que je vous embarque dans mon raisonnement pour que vous perceviez la pertinence de l’approche proposée par les Jardins d’Haiti).
Mais avant d’attaquer dans le raisonnement, il faut que je vous présente la dernière opération de
Com-Pol du gouvernement
autour de la question de l’autonomie. Je ne vous assommerai ni avec les ambitions, ni à avec les promesses, car vous savez comme moi combien les une sont vaines et les autres éphémères.
Moi, mon avis, je l’ai donné jeudi sur LinkedIn :
Le commentaire du Pr Bruno Godiard reflète plusieurs retours qui m’ont été faits en privé par des contacts qui “sont d’accord, mais ne peuvent pas le dire publiquement.”
C’est l’avantage de l’indépendance : pouvoir dire ce qu’on pense. Ce n’est pas la première fois que, ayant donné un avis tranché, je reçois des confirmations “en off” de la justesse de ma critique.
Et cela suscite deux réactions.
D’abord, bien entendu, je suis conforté dans mon choix de l’indépendance, car la liberté d’expression en est l’une des motivations.
Mais en même temps, je suis dépité que,
dans “Le Pays des Droits de l’Homme”,
dans une démocratie éclairée,
dans un pays qui écrit Liberté au fronton de ses mairies,
dans un pays qui n’est pas le dernier à donner des leçons de démocratie au reste du monde…
Des figures d’autorité, intelligentes, cultivées, influentes et dont la voix porte hésitent à exprimer leur désaccord avec une action publique.
Je peux comprendre que toutes les vérités ne soient pas bonnes à dire, mais je trouve dommage d’être le seul à oser “dire tout haut ce que les autres pensent tout bas”, surtout lorsque la voix des “autres” serait autrement plus forte que la mienne.
Arrêtez de prendre les vessies pour des lanternes
En outre, je suis à chaque fois étonné que ces promesses suscitent un tel espoir, un tel engouement alors que chaque nouvel occupant du ministère / secretariat d’état à l’autonomie lance opération, dont la longévité se limite au mieux à la durée du séjour dudit ministre / secrétaire d’état dans le gouvernement et que la plupart des opérations n’ont donné lieu à rien d’autre que des promesses creuses, des événements médiatisés et de la déception pour ceux qui y ont cru (mais combien sont-ils réellement) ?
Je le sais d’autant mieux que j’ai relayé chacune de ces opérations, qu’elles n’ont abouti sur absolument rien et que les ministres qui disaient - la main sur le cœur - combien c’était important pour eux sont tous passé à autre chose pendant que vous, les professionnels, vous continuez à trimer pour ce sujet qui est plus qu’un job !
Pour aller plus loin
Si vous y tenez vraiment, voici quelques synthèses des opérations précédentes :
Le CNR de JC Combe
La loi “Bien Vieillir” initié par les députés
La stratégie “Bien Vieillir” d’Aurore Bergé
L’épilogue de la loi “Grand Age”
Donc, mon conseil, mon cri du cœur :
Arrêtez de croire que la solution viendra de l’État.
La solution viendra de vous.
L’État sera - au mieux - le bureau d’enregistrement de votre action, il transposera dans la loi les initiatives qui ont besoin d’un socle légal.
Et ça s’arrête là.
S’il ne devait y avoir qu’une seule idée à retenir de cet essai, ce serait la réponse à LA question :
Comment vous faire comprendre, une fois pour toutes que la solution viendra du terrain et pas d’un cabinet ministériel ?
Et pour donner du corps à mon propos, je vais développer un point qui a été évoqué pendant le club Longévité Liberté consacré à Icope que j’ai enregistré jeudi 10 juillet avec le Pr Bertrand Fougère et 3 entrepreneurs : Etienne Rubi (Monka), Philippe Bourhis (Customeez) et Charles Bark (Hinounou).
ICOPE et liberté des seniors : les enseignements d'un débat révélateur
L’échange, passionnant, sera publié en podcast la semaine prochaine et je vous laisse en découvrir la richesse, mais il y a un aspect dont nous avons un peu parlé et qui me tient vraiment à cœur, c’est le libre choix des personnes âgées.
Pourquoi c’est important ?
Pour deux raisons.
Parce que le fin mot des clubs Longévité Liberté, c’est la liberté des citoyens de choisir la façon dont ils veulent vieillir et les efforts qu’ils veulent consentir pour être en bonne santé. Si j’aime déguster un whisky tous les soirs, que je sais que c’est pas super bon pour la santé, mais que je veux quand même continuer, je ne vois aucune raison valable pour que quiconque dans ce pays me l’interdise. Et cela s’applique, où que j’habite, fut-ce en EHPAD, tant que j’ai la pleine et entière possession de mon libre arbitre.
Parce qu’une initiative de l’OMS qui a pour objectif le vieillissement en bonne santé et qui repose sur un diagnostic en ligne dont les données sont remontées à des institutions publiques ou para-publiques (CHU de Tours, IHU de Toulouse, La Poste), je vois bien l’intérêt macro, mais il ne faudrait pas que cela devienne un outil de flicage ou d’injonction pour obliger les citoyens à “bien vieillir”.
Et donc, autant je valide l’intérêt de disposer d’un outil pour évaluer sa santé et prendre les dispositions qui nous semblent pertinentes pour ajuster ses comportements dans le but de ne pas souffrir et de vivre heureux jusqu’à sa mort.
Autant je suis resté sur ma faim quant à la mise en œuvre, à grande échelle, de ce dispositif. Ce sont ces questionnements qui ont motivé l’organisation de ce Club Longévité Liberté et le choix des invités avec lesquels nous avons débattu.
OMS - Covid : ne répétons pas l’Histoire
Après avoir observé pendant le Covid combien il est facile de perdre de vue la liberté au profit de la sécurité, je reste dubitatif face à ce nouveau dispositif de l'OMS.
Je refuse un monde où l'État décide pour les gens, à la place des gens, et contrôle leur état de santé.
Certes, ICOPE repose pour le moment sur l'auto-évaluation et les résultats ne servent pas encore à contraindre, mais il me semble fondamental de rester vigilant face à la pente glissante du contrôle par un tiers.
C'est cette vigilance qui guide les échanges de ce club Longévité Liberté.
Le dispositif en bref
ICOPE (Integrated Care for Older People) propose aux seniors de s'auto-évaluer tous les six mois sur six capacités essentielles : mémoire, mobilité, nutrition, vision, audition et moral.
L'objectif affiché est la prévention précoce pour "vieillir en santé".
Trois applications françaises existent déjà, développées par l’IHU de Toulouse, le CHU de Tours et La Poste. En cas de résultat préoccupant, la personne est invitée à consulter un professionnel de santé.
La résistance comme signal d'alarme
Premier constat troublant de notre échange : plus de la moitié des seniors testés refusent d'utiliser l'application, invoquant la complexité. Mais derrière cette excuse technique se cache peut-être une résistance plus profonde. Personne ne souhaite être réduit à sa future fragilité potentielle, et cette résistance naturelle devient-elle un problème à résoudre plutôt qu'un signal à respecter ?
Le glissement sémantique révélé par les intervenants est éloquent : ils évoquent des "difficultés d'appropriation" et cherchent des solutions pour "contourner" les réticences. Cette approche transforme insidieusement la liberté de refus en obstacle technique.
L'accompagnement ou la manipulation douce
Face à ces résistances, la solution unanime des experts consiste à développer l'accompagnement : professionnels de santé pour aider à remplir les questionnaires, chatbots conversationnels pour rendre l'évaluation plus "naturelle", personnalisation des parcours.
Si l'intention semble bienveillante, elle soulève une question éthique fondamentale : où s'arrête l'aide et où commence la manipulation ?
Quand un intervenant observe que les seniors "enjolivent" leurs réponses en auto-évaluation et qu'il faut donc les accompagner, l'objectif devient-il de mieux les connaître ou de contourner leur tendance naturelle à préserver leur intimité ?
Le risque est de glisser vers une logique où toute résistance individuelle devient un dysfonctionnement à corriger.
La question des données, révélatrice des enjeux
L'aspect technique de l'interopérabilité révèle des enjeux plus larges.
Actuellement, les données restent fragmentées entre les trois opérateurs, mais l'objectif ministériel annoncé est une centralisation future.
Cette perspective interroge sur la souveraineté numérique des utilisateurs : qui possède réellement ces données de santé ?
Les seniors peuvent-ils les récupérer, les supprimer, les transférer ?
Plus inquiétant, cette centralisation programmée rappelle les mécanismes observés pendant la crise sanitaire : d'abord un outil présenté comme volontaire et temporaire, puis une généralisation progressive et une normalisation du contrôle.
Vers un écosystème "longevity friendly"
Ce qui frappe dans nos échanges, c'est que malgré la qualité des intervenants et leurs bonnes intentions, nous analysons les résistances comme des obstacles à surmonter plutôt que comme des signaux à entendre.
Mais le vrai problème est peut-être ailleurs : l'enjeu n'est pas de créer une énième application santé que personne n'utilisera. L'enjeu est de créer un environnement "longevity friendly".
Icope invisible
ICOPE devrait être invisible, intégré naturellement dans nos interactions quotidiennes. Cela ne devrait pas être une app, mais une philosophie, un état d'esprit.
Comme la médecine chinoise qui ne sépare pas la santé de la vie elle-même. La révolution ne viendra pas d'une application, mais d'un écosystème où chaque point de contact devient naturellement préventif.
Arrêtons de vouloir faire du self-care quand il faut faire du design universel.
Illustration : Jardins d’Haïti, Marseille
Depuis des années, l'établissement mène une refonte dont la dernière itération est un changement de nom : d'EHPAD vers "Maison de vie". Dans une récente vidéo réalisée par la marque de fringues Hologramm, qui a proposé d’habiller gracieusement les soignants, son directeur Laurent Boucraut présente un lieu qui propose coworking, salle de musique, studio d'enregistrement et bar.
Sa philosophie tient dans deux phrases géniales :
Quand tu vois un coworker assis à côté d'un résident, ça ne fait plus EHPAD, ça fait lieu de vie.
Chaque personne qui vient passer du temps dans l'EHPAD va apporter du bien-être car, par sa présence, elle dédramatise le lieu.
Vidéo à découvrir sur Instagram :
Ou sur Linkedin : Vidéo Jardins d’Haïti.
L’enjeu
Voila l'enjeu d'ICOPE : ne pas pointer les choses du doigt, mais les faire oublier.
Devenir un mode de vie plutôt qu'un outil qui désigne les fragilités.
Car la vraie liberté ne consiste pas à pouvoir utiliser ou refuser ICOPE, mais à évoluer dans un environnement qui prend soin sans étiqueter.
Qui accompagne sans contrôler.
Qui préserve l’autonomie en la rendant naturellement durable.
Et que c’est du terrain que viennent les initiatives les plus pertinentes, pas des ministères.