Tsunami gris : pourquoi les politiques préfèrent attendre d'être noyés plutôt que de construire des digues
La grande loi sur le vieillissement ne viendra pas. Entre myopie politique et indifférence médiatique, les seniors sont les oubliés du futur.
Bienvenue sur Longévité, le média où j’analyse sans langue de bois ni flagornerie l’adaptation de la société au vieillissement.
Aujourd’hui, reprenant les éléments phares de l’allocution de la députée Véronique Besse en ouverture du colloque Corerpa du 12 mai 2025, je vous explique pourquoi la future loi Grand Age ne verra jamais le jour.
Mais je ne m’arrête pas en si bon chemin.
Je vous explique aussi comment fonctionne le cirque médiatico-politique et quels leviers vous pouvez pousser pour arriver à vos fins.
Et je vous interpelle enfin avec LA grande question :
Comment se passer des politiques et des médias ?
Il n'y aura pas de Loi Grand Âge
C'est avéré, c'est une députée qui l'a dit. Et pas n'importe quelle députée : Madame Véronique Besse, qui préside le groupe d'étude "Longévité et adaptation de la société au vieillissement" de l'Assemblée Nationale1.
Introduisant le colloque “Les retraités et leur contribution” qu’organisait la Corerpa le 12 mai dernier, elle a été formelle : il n'y aura pas de Grande Loi Bien Vieillir.

Selon Madame Besse, le sujet n'intéresse pas le Parlement pour trois raisons :
C'est un centre de coût et l'État est ruiné
Le sujet intéresse seulement les médias quand il y a un scandale sanitaire
Les vieux n'iront pas manifester sur les ronds-points
C'est une mauvaise nouvelle si vous comptiez dessus, mais depuis le temps, vous aviez déjà dû vous faire une raison, non ?
Et c'est une bonne nouvelle parce qu'on va enfin pouvoir passer à autre chose.
Mais j’ai déjà beaucoup traité ce sujet, car je ne suis pas un chaud partisan des lois qui changent le monde. Je pense que ce sont les hommes qui changent le monde et les lois qui entérinent les choses ensuite. Attendre en vain la loi qui va tout changer, pas mon truc.
Cependant, il y a une deuxième partie dans le message de la députée, c’est cette corrélation entre l’action médiatique, l’action parlementaire et l’inaction des seniors.
Je vous invite à nous pencher sur les trois maillons de la chaîne.
Le désintérêt pour les crises à retardement
Ce désintérêt parlementaire révèle un problème structurel plus profond : notre incapacité collective à nous saisir des enjeux de long terme. Le "tsunami gris" dont on parle depuis des décennies reste un concept abstrait, lointain, aux contours flous. On évoque le nombre de personnes dépendantes à l'horizon 2040, mais ces projections peinent à susciter l'urgence nécessaire à l'action politique.
Et pour cause : les effets précis de cette transformation démographique restent difficiles à définir avec exactitude.
Combien de personnes seront réellement dépendantes ?
Quels seront les besoins exacts en termes d'infrastructures, de personnel soignant, de financement ?
Cette incertitude inhérente aux projections de long terme se heurte frontalement à la logique politique contemporaine.
Car la politique moderne privilégie l'immédiateté et le tangible. Les décideurs cherchent des mesures aux effets visibles, mesurables, et surtout, rapides.
Une réforme qui déploiera ses effets dans quinze ou vingt ans ?
Autant dire une éternité à l'échelle d'un mandat électoral.
Qui sera encore là pour en revendiquer la paternité ou en assumer les échecs ?
Les médias, miroirs et amplificateurs de cette myopie temporelle, renforcent ce tropisme du présent. La complexité et l'incertitude du vieillissement démographique se prêtent mal aux formats courts et aux titres percutants.
Le triangle d'indifférence : médias, politiques et seniors
Cette indifférence révèle un mécanisme bien huilé qui maintient le statu quo. Nos trois acteurs – politiques, médias et seniors – sont liés par des relations asymétriques qui créent un cercle vicieux.
Les politiques réagissent au quart de tour quand les médias s'intéressent à un sujet.
Dernier exemple en date : "Les Fossoyeurs". L’enquête de Victor Castanet sur les dérives d'Orpea sort le 24 janvier 2022, et dès le 14 février, l'Assemblée Nationale convoque une commission d'enquête. Le Sénat commande une enquête à l'IGAS le 17 février, qui remet son rapport le 31 mars.
On aimerait que l'Administration et le Parlement fassent diligence avec la même célérité sur d'autres sujets, surtout si l'on compare cette réactivité éclair avec le délai monstrueux entre l'annonce d'une loi grand âge par Emmanuel Macron (juin 2018), les innombrables rapports et la promulgation tardive d'un ersatz de loi en mars 2024.
La captation médiatique
Les médias, eux, sont captivés par la politique et le spectaculaire. Les données récentes confirment cette fixation : lors de la campagne des législatives de 2024, 16 124 sujets de télévision, radio, presse écrite et web ont été recensés sur la seule période de la campagne.
Les journaux télévisés de TF1 et France 2 ont respectivement consacré 68 et 86 sujets à la question en moins de deux semaines, soit plus de 5 à 7 sujets par édition quotidienne.
Mais cette machine médiatique, si prompte à s'emballer pour un fait divers ou une polémique politique, reste étrangement muette sur les enjeux du vieillissement – sauf quand un scandale éclate.
La chronique quotidienne de la transformation démographique la plus importante de notre siècle ne fait pas le poids face à l'instantanéité de l'actualité politique.
Comment vendre à un rédacteur en chef un dossier sur une crise qui ne culminera que dans deux décennies ?
Comment rendre palpable un phénomène aussi diffus que le vieillissement progressif de la population ?
L'impossible remède préventif
Ce qui rend le sujet doublement ingrat pour les décideurs politiques, c'est l'absence de solutions miraculeuses.
Comment revendiquer la paternité d'une mesure dont les effets ne seront visibles que longtemps après avoir quitté ses fonctions ?
Comment s'engager sur des solutions coûteuses quand les bénéfices ne seront perceptibles que par vos successeurs ?
Dans ce climat, les initiatives se limitent souvent à des ajustements marginaux du système existant ou à des déclarations d'intention sans lendemain. Les quelques tentatives courageuses de transformation profonde (comme celle promise par Emmanuel Macron en juin 2018 quand il annonce la future loi Grand Age que nous attendons toujours) s'enlisent invariablement dans les sables mouvants des arbitrages budgétaires et des alternances politiques.
Le paradoxe électoral des seniors
Et puis il y a les seniors, ces citoyens modèles qui votent massivement mais dont les intérêts sont négligés. Les chiffres sont éloquents :
Législatives 2024 : 74% de participation chez les 60-69 ans, 80% chez les plus de 70 ans
Européennes 2024 : seulement 29% d'abstention chez les plus de 70 ans, contre plus de 60% chez les moins de 35 ans
Les seniors constituent le socle de notre démocratie électorale. Ils sont aussi les piliers de l'audience des médias traditionnels : 90% des 55 ans et plus regardent la télévision hebdomadairement (contre 62% des 18-24 ans), 61% écoutent la radio chaque semaine, et 60% lisent la presse quotidienne.
Pourtant, malgré ce poids électoral et médiatique considérable, les questions liées au vieillissement ne parviennent pas à s'imposer dans l'agenda politique.
Un paradoxe qui s'explique en partie par la fragmentation des intérêts au sein même de cette population : les retraités actuels, peu concernés par la dépendance, ne se mobilisent guère pour les enjeux de long terme.
L'exception qui confirme la règle : le cas des "Fossoyeurs"
L'affaire Orpea est édifiante à plus d'un titre.
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