De l'horloge épigénétique à ICOPE : pourquoi mesurer ses progrès change tout en prévention
Arrêtons de demander aux citoyens de changer leurs habitudes sans leur donner les moyens de mesurer l'impact de leurs efforts !
Bienvenue sur Longévité, la newsletter où je décortique la Silver économie.
Le 11 septembre 2025, j’ai participé à une table ronde sur les enjeux et perspectives de l’IA en Silver économie. Organisé par
, cet événement s’est déroulé dans les locaux parisiens de Futur 4 Care, partenaire de la filière. La table ronde animée par le DG de France Silver Eco, Mathieu Alapetite, devait donner à l’audience un aperçu de ce dont demain sera fait.Outre quelques considérations sur la place de l’IA dans les entreprises et la nécessité de nous adapter aux attentes des consommateurs au lieu de chercher à les changer pour entrer dans le moule de nos idéologies, je suis revenu sur l’intérêt d’Icope dans les politiques de prévention.
Icope = première pierre de notre édifice préventif ?
Oui, car il apporte à toutes les parties prenantes de la longévité un outil, un instrument de mesure et un système sur lequel nous pouvons ensuite itérer.
Sur le chemin du retour, j’ai pris le temps de réécouter l’intervention du Pr Bertrand Fougère dans le podcast que je lui avais consacré autour du programme ICOPE, il y a quelques mois. J’en ai aussi profité pour relire mes articles sur la longévité, la géroscience et un article écrit il y a quelques années pour Sweet Home (mon blog historique) où je présente un outil de mesure du vieillissement au nom mystérieux : l’horloge épigénétique.
À travers mon analyse, je vous invite à réfléchir à LA question
Comment utiliser la mesure de l’effort comme levier pour inciter les gens à en faire (des efforts) ?
Pourquoi les Français continuent-ils de mal vieillir malgré des décennies de messages préventifs ?
La question me taraude depuis que j'observe l'inefficacité chronique de nos politiques de santé publique. "Mangez cinq fruits et légumes par jour", "Manger-Bouger" : ces mantras répétés ad nauseam ne modifient pas les comportements.
Le problème ne réside pas dans le contenu de ces recommandations.
Il se cache dans leur structure même.
Ces messages créent une injonction sans récompense, un effort sans retour visible.
Comment motiver quelqu'un à adopter des comportements dont il ne verra les bénéfices que dans vingt ou trente ans ?
L'angle mort de nos stratégies préventives
L'explication se trouve dans les travaux de Deci et Ryan1 sur la théorie de l'autodétermination. Leurs recherches révèlent que la motivation humaine repose sur trois piliers : l'autonomie, la compétence et l'appartenance sociale.
Le pilier de la compétence : c’est là qu’est notre colonne vertébrale.
Pour maintenir notre engagement dans une activité, nous avons besoin de preuves tangibles de notre progression. Or, c'est ce qui manque dans les approches préventives actuelles.
Prenez l'exemple du régime amaigrissant. Pourquoi fonctionne-t-il mieux que les conseils nutritionnels généraux ? Parce que la balance fournit un feedback quotidien. Le poids baisse, monte, stagne : je vois l'impact direct de mes choix. Cette visibilité maintient ma motivation.
La prévention du vieillissement ne bénéficie d'aucun équivalent. Comment mesurer que mes habitudes alimentaires ralentissent mon vieillissement cellulaire ? Comment quantifier l'impact de mes séances de sport sur ma longévité future ? Cette absence d'indicateurs transforme les efforts préventifs en actes de foi.
La science confirme : le feedback booste la motivation
Les études le prouvent. La disponibilité d'indicateurs de résultat augmente la motivation à fournir des efforts, même lorsque ces indicateurs sont imparfaits. Cette découverte traverse tous les domaines : apprentissage, travail, santé.
L'effet sur la santé ?
Les personnes qui bénéficient d'un suivi régulier de leurs paramètres - poids, tension, glycémie - adhèrent mieux aux traitements. Elles persistent plus longtemps dans leurs efforts. L'indicateur structure l'action et facilite la persistance.
Mais attention : tous les feedbacks ne se valent pas.
Le retour doit être perçu comme informatif, non contrôlant. - Deci & Ryan
Il doit valoriser la compétence et préserver l'autonomie. Administré dans un climat de soutien, il nourrit la motivation intrinsèque.
Cette nuance explique pourquoi certaines applications de selfcare échouent. Elles transforment le suivi en surveillance, la mesure en jugement. L'utilisateur se sent contrôlé plutôt qu'informé. Sa motivation s'effondre.
L'horloge épigénétique : la révolution qui ne viendra pas
Face à cette lacune, une innovation prometteuse émerge : l'horloge épigénétique. Développée par Steve Horvath, cette technologie mesure l'âge biologique en analysant les marqueurs épigénétiques de l'ADN. Pour la première fois, nous pouvons quantifier l'impact de nos comportements sur notre vieillissement cellulaire.
Les résultats de Horvath impressionnent.
Ses recherches portant sur des dizaines de milliers d'échantillons montrent que les personnes ayant un âge épigénétique accéléré présentent un risque de mortalité double.
À l'inverse, celles dont l'âge biologique est inférieur à leur âge chronologique voient ce risque divisé par deux.
Plus encourageant : des essais cliniques observent un rajeunissement biologique de 2,5 ans en douze mois chez des participants suivant certaines interventions. Voilà enfin un indicateur capable de motiver les efforts préventifs.
Sauf que cette révolution ne viendra pas.
Pas en France, en tout cas.
Les freins réglementaires français
Le Comité Consultatif National d'Éthique a tranché en 2016. Son avis 124 pose un cadre restrictif pour les analyses génétiques. Toute analyse épigénétique doit être prescrite par un médecin ou s'inscrire dans un protocole de recherche validé. Les tests "d'âge biologique" vendus sur internet sont interdits pour un usage privé.
Cette position se justifie.
Confier son ADN à un laboratoire privé expose à des risques réels. Ces entreprises peuvent exploiter ces données ultrasensibles à notre insu. Certaines commercialisent déjà des "programmes de rajeunissement" aux promesses douteuses, moyennant des sommes importantes.
Le CCNE invite à "ralentir la fuite technologique" et à "placer la protection des libertés individuelles au cœur de toute évolution". Cette prudence contraste avec l'approche américaine ou canadienne, où la responsabilité revient aux consommateurs.
Le paradoxe de la protection
Cette situation crée un paradoxe.
Nous protégeons les citoyens contre l'exploitation de leurs données génétiques, mais nous les privons d'un outil potentiellement efficace pour leur santé.
Le résultat ?
Les plus motivés contournent la réglementation en passant par des laboratoires étrangers. Les autres restent sans solution.
Cette protection paternaliste a du sens dans l'absolu.
Elle devient problématique quand elle prive les individus d'informations utiles pour leur santé. L'avis du CCNE soulève une question pertinente : quelle utilité pour un individu de recevoir une information sans avoir les connaissances pour la contextualiser ni les moyens de la modifier ?
Cette interrogation révèle le cœur du problème.
Nous manquons d'un écosystème capable d'accompagner ces innovations.
Le test seul ne suffit pas.
Il faut l'intégrer dans un parcours de soins, l'associer à des interventions validées, l'encadrer médicalement.
Les alternatives décevantes du marché privé
En attendant, le marché propose des alternatives. Les objets connectés se multiplient : montres, bracelets, bagues qui suivent nos paramètres physiologiques. L'Oura Ring, par exemple, synthétise sommeil, activité physique et fréquence cardiaque en scores quotidiens.
Ces dispositifs présentent des avantages évidents.
Ils sont légaux, accessibles, et fournissent un feedback immédiat. Ils répondent partiellement au besoin de mesure identifié plus haut.
Leurs limites sautent aux yeux.
Ils ne mesurent que des paramètres superficiels, sans lien direct avec le vieillissement cellulaire. Leur impact préventif reste limité. Surtout, ils s'adressent à une population déjà sensibilisée, souvent privilégiée.
Le problème de la légitimité médicale
Plus problématique : ces initiatives privées peinent à s'intégrer dans le parcours de soins français. Sans validation médicale, leurs données restent anecdotiques pour les professionnels de santé. Dans un pays où l'avis médical jouit d'une autorité déterminante, cette absence de légitimité constitue un handicap majeur.
J'ai interrogé plusieurs médecins généralistes sur leur perception de ces outils. Leurs réponses convergent : ils ne savent pas quoi faire de ces données. Elles ne s'intègrent dans aucun référentiel médical établi. Elles créent plus de confusion que de valeur ajoutée.
Cette situation révèle un décalage entre l'innovation technologique et l'écosystème médical français. Les outils existent, mais ils évoluent en parallèle du système de soins, sans jamais s'y intégrer vraiment.
ICOPE : la solution institutionnelle qui émerge
C'est dans ce contexte que le programme ICOPE prend tout son sens. Développé par l'Organisation Mondiale de la Santé, porté en France par des CHU, soutenu par un article 51, distribué - entre autres - par La Poste, ce dispositif propose une approche radicalement différente.
ICOPE repose sur une évaluation multidimensionnelle des capacités intrinsèques : mobilité, nutrition, vision, audition, cognition, état psychologique. Cette grille, validée scientifiquement, permet de détecter précocement les signes de fragilité et de mettre en place des interventions personnalisées.
L'atout majeur d'ICOPE réside dans son intégration au système de santé français. Contrairement aux solutions privées, cet outil bénéficie de la caution médicale et institutionnelle nécessaire à sa diffusion. Le programme s'appuie sur un réseau de professionnels formés et s'inscrit dans une démarche de suivi médical global.
L'innovation dans l'encadrement
Niveau expérience utilisateur, ICOPE propose une application permettant aux utilisateurs de réaliser eux-mêmes certaines évaluations. Cette approche transforme la prévention en démarche active et autonome. Elle répond aux besoins identifiés par la psychologie de la motivation.
Le programme offre un feedback régulier sur l'évolution des capacités. Il préserve la liberté de choix des participants. Il s'inscrit dans une démarche collective soutenue par les professionnels de santé.
Les trois piliers de Deci et Ryan sont respectés.
Cette approche contourne habilement les écueils identifiés précédemment. Elle évite la techno-fascination des gadgets connectés. Elle échappe aux dérives commerciales des tests génétiques privés. Elle s'intègre naturellement dans l'écosystème médical français.
Les limites à surveiller
ICOPE n'est pas exempt de défauts. Son déploiement reste lent et inégal sur le territoire. Sa dimension technologique, bien que présente, reste modeste comparée aux innovations disponibles. Son impact sur la motivation des utilisateurs demande à être évalué sur le long terme.
La grille d'évaluation, bien que validée, reste relativement basique. Elle ne capture pas la finesse des horloges épigénétiques. Elle ne rivalise pas avec la précision des objets connectés haut de gamme. Elle représente un compromis acceptable plutôt qu'une solution optimale.
Ce compromis reflète les contraintes du système français. Entre innovation débridée et prudence excessive, ICOPE trace une voie médiane. Cette approche pragmatique mérite d'être soutenue, même si elle ne satisfait pas tous les besoins identifiés.
Ce que nous devons retenir
Mon enquête révèle un constat simple : nos politiques de prévention échouent parce qu'elles négligent les ressorts psychologiques de la motivation humaine. Nous demandons des efforts sans fournir les moyens de mesurer leur impact. Cette lacune explique l'inefficacité chronique de nos campagnes de santé publique.
Les solutions existent, mais elles se heurtent à des obstacles réglementaires, économiques ou culturels. Les horloges épigénétiques offrent un potentiel révolutionnaire, mais restent inaccessibles en France. Les objets connectés prolifèrent, mais peinent à s'intégrer dans notre système de soins.
ICOPE représente peut-être la voie d'équilibre dont nous avons besoin. Ce programme combine validation scientifique, intégration institutionnelle et approche motivationnelle. Sa généralisation pourrait transformer nos bonnes intentions préventives en comportements durables et mesurables.
L'enjeu dépasse la simple innovation technologique. Il interroge notre capacité collective à repenser la prévention. Sommes-nous prêts à abandonner nos approches paternalistes pour faire confiance aux citoyens ? Saurons-nous créer les conditions d'une prévention motivante et efficace ?
Ces questions détermineront notre réussite face au défi du vieillissement. Car au fond, bien vieillir ne dépend pas seulement de nos gènes ou de nos comportements. Cela dépend aussi de notre capacité à mesurer le chemin parcouru.
La théorie de l'autodétermination (Self-Determination Theory, SDT) de Deci et Ryan est une référence majeure en psychologie de la motivation, centrée sur la satisfaction de trois besoins psychologiques fondamentaux : autonomie, compétence et appartenance sociale. Deci, E. L. & Ryan, R. M. (1985). Intrinsic Motivation and Self-Determination in Human Behavior.
Mais je te rejoins sur l’IA et les objets connectés pour motiver les actions engagées. D’ailleurs il y a une application qui est sortie Anticyp. À suivre !
Le problème d’ICOPE rejoint les injonctions que tu cites sur les messages et méthodes de prévention. Stagnation au step 1, pas de budget pour payer les professionnels compétents et stigmatisation et vision réductionniste que la nutrition est une affaire de poids